Les billets d'humeur d'Eric
Episode 8
Au moment des balbutiements de l'oncologie pédiatrique, les résultats étaient loin d'être excellents (la guérison globale était de l'ordre de 20%) et les groupes thérapeutiques étaient réellement différents (changements importants de classes médicamenteuses ou des dosages, durée thérapeutique avec parfois de grands écarts), mais au fur et à mesure de l'évolution des connaissances, les questionnements devenaient de plus en plus limités. Après 50 ans de recherche clinique, en suivant ce fonctionnement par randomisations successives, les taux de guérison globale avoisinent maintenant les 80% (avec certaines maladies pour lesquelles les taux de guérisons sont supérieurs à 90% comme pour certaines leucémies ou la maladie de Hodgkin). Les modifications proposées ne peuvent plus être que des modifications mineures, car les taux de succès sont tellement importants qu'il ne faudrait pas risquer de perdre le bénéfices des études précédentes.
A l'heure actuelle, les protocoles thérapeutiques visent plus à diminuer les effets secondaires qu'à augmenter les taux de guérison. Même si cela peut vous paraitre étonnant, cette attitude plus globale est totalement sensée ! Je vais de nouveau prendre un exemple concret pour que vous compreniez l'enjeu: la maladie de Hodgkin. Les taux de guérison étaient de près de 90 à 95%, mais du fait de l'utilisation systématique de radiothérapie, les enfants guéris devenaient des adultes présentant de multiples complications thérapeutiques: hypothyroïdie, tumeur thyroïdienne, tumeurs cutanées, voire rupture vasculaire parfois létales. Depuis plus de 15 ans, les 2 derniers protocoles pour ce type de maladie ont visé à déterminer quels patients (qui répondaient bien à la chimiothérapie) pouvaient échapper à la radiothérapie. Actuellement, un grand nombre de patients a pu guérir de cette maladie de Hodgkin sans exposition aux rayons (et donc sans les risques de morbidité et de mortalité qui auraient été liés au traitement). Au final, même une désescalade de traitement peut entraîner une amélioration globale de la vie des patients.
Beaucoup de parents pensent que les essais thérapeutiques sont des tentatives de traitement par des molécules inconnues (ou peu connues), ce qui est rarement le cas. Actuellement, seul le protocole des leucémies aiguës myéloïdes propose une nouvelle thérapeutique (le Mylotarg), qui est déjà utilisé depuis de nombreuses années dans les rechutes de ce type de maladies (que nous avons voulu insérer dans le traitement initial, en espérant avoir plus de rémissions complètes). Le but étant dans ce cas de diminuer l'indication des allogreffes de moelle en première intention (qui peuvent entraîner des risques de séquelles que l'on évite avec la chimiothérapie seule).
En résumé, un essai thérapeutique a un seul but: améliorer le taux de guérison en n'augmentant pas (voire en diminuant) le taux d'effets secondaires, qui pourraient diminuer la qualité de vie (ou l'espérance de vie) des patients guéris. Ne connaissant pas la réponse à la question posée par un protocole (établi par des experts de la maladie, souvent après des années de recherches et de discussions), la seule possibilité scientifique est de "tirer au sort" entre un traitement de référence et un traitement légèrement ajusté. Les parents qui refusent (ou désirent quitter le protocole à n'importe quel moment du traitement, ce qui est parfaitement possible), se voient proposer le traitement de référence. Dans ce cas de refus, l'expérience de leur enfant ne servira pas aux responsables du protocole, mais pourra servir de façon globale par le biais d'un enregistrement. En effet, depuis des dizaines d'années, des registres sont établis dans de nombreuses régions (maintenant ces registres sont nationaux), ce qui permet de suivre l'épidémiologie des cancers de l'enfant et l'évolution des enfants traités. Il est bien dommage que Le Monde.fr n'ait pas profité de ces données, car cela leur aurait éviter de publier des âneries sur leur site internet (non, il n'y a pas d'épidémie menaçante de cancers de l'enfant, en rapport avec la pollution environnementale, car ces registres nous auraient alertés!).
Pour finir, certains traitements n'ont pas de nouvelle question à poser pour l'instant. Par exemple, pour Valentin, son traitement (protocole HRNBL) avait déjà été évalué et aucune autre thérapeutique n'était en cours d'évaluation. Dans ce cas, le protocole est présenté aux parents et seul l'enregistrement anonyme des données est proposé.
Tout ce qui concerne les nouvelles molécules ou attitudes thérapeutiques (traitements ciblées, immunothérapie, CAR-T cells, etc.) ne sont pas proposées en protocole thérapeutique randomisé initial. C'est dans un second temps, en cas d'évolution défavorable ou de rechute, que ce type d'essais thérapeutiques sont proposés à la famille. Tous les Centres d'Oncologie Pédiatrique ne sont pas ouverts pour ces molécules et traitements innovants, mais nous sommes tous informés de la disponibilité de ces alternatives thérapeutiques. Cela complique encore plus la prise en soins, car dans certains cas, des familles sont obligées de se rendre dans des hôpitaux éloignés, afin de pouvoir bénéficier de ces traitements. Cela réveille également en moi un douloureux souvenir, car une proposition d'essai protocolaire pour Valentin était de recourir à un traitement appelé MIBG thérapeutique. Du fait d'un problème de sécurité des sites (risque d'irradiation de l'entourage), les sites qui réalisaient ce type de traitements ont été fermés, nous obligeant à abandonner ce projet. Le risque inhérent à toute innovation thérapeutique est le problème de légalité et d'aptitude des centres (limitation du nombre de patients incluables, assurance pour certaines molécules, critères pour le patient, etc.), qui est une source de stress supplémentaire pour l'enfant et sa famille.
Je parlerai spécifiquement de ces nouvelles approches dans un prochain épisode, car il s'agit d'une réelle révolution, qui a des chances de modifier totalement le traitement du cancer, dans un avenir plus ou moins proche.